Mila, ou les mères nourricières à la dérive

Publié le par Ericc


On les connaît bien les mères nourricières.  Beaucoup de chats des rues leur doivent leur survie. Elles sont fidèles à leur lieu de nourrissage, quelque soit le temps. Sur place, elles sont attendues et espérées. J'en ai connu qui agissaient en cachette de leur mari. Certaines tentent même, sur leurs deniers généralement peu abondants, de stériliser. Souvent, lorsque le temps a passé, que le conjoint n'est plus, qu'enfants et petits-enfants sont loin, le nourrisage de leurs sauvageons des rues est devenu leur principale préoccupation. Parfois, lorsqu'elles voient surgir une association sur le lieu de leurx exploits, elles restent méfiantes, face à ces nouveaux arrivants qui ne parlent que de stérilisation et de placement. Parfois, elles veulent bien jouer le jeu et elles se mettent à supplier pour celui-là, dont elles vous racontent l'histoire, la gorge nouée par l'émotion et l'espérance. Comment pourraient elles croire encore, qu'elles ne sont pas seulles au monde, lorsque l'association dit non et qu'elle affiche complet ?  Sans doute ont-elles trop enduré, trop connu de la méchanceté humaine pour ne pas se méfier. Même avec l'habitude, cela doit faire mal d'entendre parler de soi comme de la folle qui nourrit les chats, au bout de la rue. Cela doit être insupportable d'entendre les mêmes sarcasmes, les mêmes agressions verbales, les mêmes menaces. Cela doit être insupportable, de trouver un matin, ses protégés, morts, empoisonnés et  de rentrer chez soi, pour pleurer, seule, sans personne à qui confier sa détresse et son désarroi ?

On ne parle jamais assez, des mères nourricières...

Souvent, elles ont déjà des chats chez elles. Et elles les aiment, passionnément. Pour un tout petit nombre, aux blessures reçues dans l'exercice de leur sacerdoce, s'en ajoutent d'autres : ces blessures de la vie, que nous finissons tous par subir, plus ou moins, mais que nous ne sommes pour autant pas tous en mesure d'affronter sans trop de dégâts. Alors, un jour, elles finissent par ouvrir grande leurs portes, d'autant plus grandes qu'elles sont seules et qu'elles n'ont pas eu l'opportunuité de saisir des mains tendues, lorsqu'elles se sont tendues. Trop grandes... Alors de cinq ousix chats, on passe à dix, puis à quinze, à vingt, puis à trente...   

Mila connaît bien cela, trop bien, et c'est elle qui doit vous en parler ...


Oui, c'est moi Mila... Quand je suis née, les choses ne devaient plus aller vraiment bien déjà. Car si elles étaient demeurées dans les limites du raisonnable, je ne serai sans doute pas née, car ma maman aurait été stérilisée. Je suppose donc que déjà, l'argent devait commencer à manquer. Nous étions bien une trentaine. Oh!  Il y avait bien de la place! Un très grande maison, avec une très grande cour intérieure, comme il en existe encore dans certaines petites villes ou dans certains villages de cette régon de France où j'ai vécu... Derrière de hauts murs, bien trop hauts pour qu'aucun de nous puisse  s'en échapper. Bien trop haut aussi, pour qu'aucun d'entre vous, les humains, ne soit en mesure de voir ce qui s'y passe...
Bien sûr, nous avions à manger, mais les plus timides et les plus fragiles d'entre nous avaient déjà des difficultés à se nourrir à satiété... surtout en fin de mois... Bien entendu, lorsque je suis née, déjà, aucun de mes compagnons n'était plus à jour du moindre vaccin. Je ne me rendais pas compte de ce qui allait se passer. La dame n'avait pas trop le temps de nous caliner. Et quand elle tenteait de le prendre, c'était d'autres que moi qui se précipitaient les premiers. Moi, j'ai fini par laisser tomber. Alors des calins, je n'en ai jamais reçu. Je sais seulement que certains d'entre nous se précipitaient pour recevoir, et qu'il demeuraient éperdument tristes, lorsqu'ils n'y parvenaient pas, ou lorsqu'après s'être battus pour y parvenir, c'était terminé.  
Je me souviens aussi, que toute petite, il m'arrivait parfois de faire mes besoins dans des litières peu souillées... Et puis, d'autres sont arrivés, des touts petits, une portée, trouvée dans une poubelle, une autre, amenée à la porte par des humains très propres sur eux.... Et le temps passa... nous fûmes une trentaine , une cinquantaine ensuite , et puis 70, et puis 100, et ... à partir de 100, est-il encore besoin de compter ?
L'intendance elle, n'a pas suivi.  Alors, nous avons eu faim, vraiment faim, et nous avons dû nous battre pour manger. Les litières ont vite disparu sous les amas d'excréments. Alors, nous avons pris l'habitude de faire là où nous pouvions, dans la maison, dans un coin, sur un fauteuil, une couverture moisie, un matelas gorgé d'urine et d'humidité, ou à même le sol. Alors bien sûr, de temps à autres, la dame essayait. Les sacs poubelles se remplissaient. Elle essayait... Mais les sacs  s'entassaient dans la cour,sans franchir less murs d'enceinte, et quand il y en eu trop dans la cour, il finirent par s'entasser dans la maison, au salon , puis dans les chambres, enfin dans celle-là même où dormait la dame.  Une pièce pourtant nous était interdite. C'était là où elle amenait ceux d'entre nous qui étions devenus trop malades. Moi, j'ai toujours été en bonne santé. Rongée par les vers, par les puces comme tout chat qui n'a jamais été vermifugé ou déparasité, mais j'ai guéri seule du coryza.  Pas comme ma soeur et l'un de mes frères. Pas comme ma mère.  Je sais que trop faibles ils sont partis un jour, l'un après l'autre, vers la pièce interdite : j'ai su plus tard, sans comprendre vraiment de quoi il était question. Ceux qui rendraient dans cette pièce n'en ressortaient jamais. On les mettaient dans des cartons, les uns sur les autres et plus jamais, ils ne bougeaient...
L'odeur y était plus insoutenable encore qu'ailleurs dans la maison...
Et comme de l'extérieur d'autres arrivaient encore, certains furent mis à la cave. Moi, encore, j'avais eu accès à la cour, à la lumière, à l'extérieur, aux odeurs de la vie. Tous n'ont pas connu cela...

Elle nous aimait tellement, notre mère nourricière... tellement que lorsque des dames sonnaient à la porte, elle ne voulait pas les laisser entrer. Certaines ont pu nettoyer la cour, vider des sacs d'ordure. Elles parlaient de choses que je ne comprenais pas : de stérilisation, de prendre les chatons, de vétérinaires, mais la dame criait quelle ne se laisserait jamais prendre ses chats !

Et puis un matin, la dame est tombée. Elle n'a plus bougé. Pendant des jours. Durant ces jours, nous n'avons jamais été autant affamés.  Des humains ont commencé à entrer. A aller et à venir. Mais aucun ne nous a donné ni à manger, ni à boire. Je les ai entendu plusieurs fois se demander comment ils allaient pouvoir EUTHANASIER tout ça...
Le premier jour ils sont venus avec des cages. Il y avait un peu de nourriture dedans. Alors, mes compagnons ont commencé à s'y précipiter. Dès qu'ils y entraient, il y avait un grand bruit : la trappe se fermait, et on les évacuait.  Ces gens venaient de la SPA locale.J'entendis un humain dire que comme cela, on n'y arriverait pas. Un autre dire qu'il n'avait pas assez de produit. Un autre dire que les choses ne pourraient se faire dans les normes. Une dame, supplier en larmes qu'on nous offre au moins la première piqûre, celle qui endort et apaise, et pas seulement  la seconde, celle qui tue, dans des souffrances infinies. Le lendemain, nous étions un peu moins nombreux déjà. Ils  sont revenus avec des collets, des filets, des perches à crochets... La curie commença et ce fut la débandade... Un à un, on traqua mias compagnon. Sitôt saisis, au bout de la perche, la piqûre les attendait. Quelques secondes d'une infinie souffrance, et on les entassait, les uns sur les autres, sans qu'ils ne bougent plus. Allait-on les mettre eux-aussi dans la pièce intedite ?
 Moi, malgré ces conditions de vie qui furent les miennes, j'avais un petit coeur. Tous les jours, j'allais à la rencontre d'un beau gros matou qui vivait dans le garage,  au milieu de détritus avec pour seule lumière, celle qui passe fébrilement par les petits hublots. nous nous faisions des calins, derrière ces minuscules vitres. Et lorsque les humains entrèrent dans ce garage, et qu'au bout d'une longue course poursuite, ils le saisirent au bout de leur perche, le matou sortit enfin. Il vit pour la première fois depuis longtemps la lumière du jour. Il respira un instant l'air frais. Oui, il traversa pour la première fois cette cour où ses pattounes ne s'étaient jamais posées, où il avait tant rêvé pouvoir se prélasser un jour au soleil, marcher et courrir... mais il ne la traversa pas comme il l'avait espéré. Il la traversa les pattes dans le vide et la tête dans la canne à collet, et quelques secondes suffirent pour qu'il retourne à jamais dans le noir, définitivement dans le noir.

Alors, je me suis mise à courrir. Affamée, je suis entrée dans une cage pour manger. Enfin. Que pouvait il m'arriver de mieux désormais, que de rejoindre  la chambre interdite ou de m'immobiliser sur ce tas immonde de chats euthanasiés ? Et je suis entrée dans une cage. La trappe s'est refermée. Une dame l'a saisie et elle s'est mise à courrir, malgré les injonctions des gendarmes, malgré les injonctions de la SPA... à courrir vers la rue, vers l'extérieur, vers sa voiture. Elle m'a amenée, loin.

Le carnage a duré plusieurs jours. Moi, Mila, je suis la seule rescapée. Et chaque jour qui passe, dans ma nouvelle vie me dit toute l'infinie tendresse, tout l'infini bien-être, toute l'infini bonheur, qu'ils auraient eux aussi dû connaître et qu'ils méritaient tous ...
Le regard de mes compagnons d'infortune me hantera longtemps; Ils se sont éteints mais vivent encore en moi...

 


L'HISTOIRE VECUE PAR MILA EST UNE HISTOIRE VRAIE. DES HISTOIRES COMME CELLE-LA, IL S'EN EST DEROULE CETTE ANNEE, AU MOINS UNE DANS CHACUN DE NOS DEPARTEMENTS...  

MILA APPREND DESORMAIS LA VIE, doucement et surement. Nous reparlerons d'elle et de sa nouvelle vie. Vous pouvez parrainer MILA si vous le souhaitez et recevoir de ses nouvelles. Me contacter : crestaeric@orange.fr

 

Publié dans In memoriam

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
E
Valérie a raison. Caro est une personne de coeur, fidèle en amitiés. Il y a bien sûr le site de la chattounerie ( en lien sur ce blog), il y a aussi le petit forum d'intimes, sur lequel j'ai plaisir à aller;;; la chattounerie mérite d'être aidée comme la maison de l'espoir retrouvée ( également en lien sur ce blog)... Mila attend toujours une marraine ou un parrain...
Répondre
V
Bonsoir Nanimay,<br /> <br /> Si vous voulez avoir des nouvelles de la Petite Mila, allez sur le site de Caro qui est une femme formidable "La Chattounerie" en lien sur le blog d'Eric, vous y trouverez aussi les histoires d'autres petits rescapés. <br /> Cette Petite Miraculée recherche une marraine !!!<br /> <br /> Très bonne soirée.<br /> <br /> Valérie.
Répondre
[
Très poignante cette histoire ! Mila a eu une chance incroyable ! Amitiés
Répondre
[
Très poignante cette histoire ! Mila a eu une chance incroyable ! Amitiés
Répondre
A
Une histoire bouleversante. Les braves petites vieilles "nourricières" d'animaux errants, pourraient satisfaire leurs "fantasmes" autrement si notre société satisfaisait un besoin légitime d'affection et de dignité. Les animaux sont les victimes collatérales d'une société devenue franchement égoïste et peu respectueuse d'autrui comme de la nature.
Répondre