De l'espérance de vie des ours polaires

Publié le par Ericc

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Que n'a-t'on lu ces dernières semaines sur l'espérance de vie des ours polaires !  Des nombreux posts faisant référence à la disparition de Knut,  c'est le chiffre de 35 ans qui domine.  Sans la moindre référence aux travaux scientifiques ayant permis d'établir une donnée aussi précise, certains restent dans le vague, sans dire si un tel chiffre se rapporte à des ours polaires en captivité ou à des ours polaires sauvages, vivant dans leur milieu naturel. Les mieux informés ne s'y trompent pas et apportent la précision  qu'il s'agit bien d'animaux vivants en captivité. De petits malins n'hésitent pas à inverser la situation, en présentant ce chiffre comme concernant les animaux évoluant en milieu naturel, quant  les sites les plus sérieux et les mieux informés n'avancent pour les ours vivant en milieu naturel, non plus un chiffre, mais qu'une fourchette : 15 à 20 ans.

 

Des statistiques  incomplètes et souvent aléatoires

 

Il est indispensable de bannir l'expression "espérance de vie" de notre vocabulaire, si l'on n'en précise pas toutes les limites, et tout ce que ce terme, appliqué à une espèce comme l'ours polaire a d'aléatoire. Pourquoi ?

L'espérance de vie, chacun connaît, vu qu'il s'agit d'une donnée de démographie, appliquée à l'Homme, et dont nous savons tous la signification.  Or, les techniques scientifiques permettant d'établir l'espérance de vie humaine reposent sur des données considérables, des échantillons de calculs qui permettent aujourd'hui d'embrasser pratiquement toute la population dans les pays  développés. Dans un Etat comme la France, nous pouvons même le suivre annéee après année, en le précisant même, région par région ! Les chiffres avancés, systématiquement présentés en fonction des sexes avant d'être réduite à l'ensemble de la population, nous conduisent ainsi à considérer que l'espérance de vie en France est aujourd'hui de 78 ans environ, et nul ne saurait confondre cette donnée de démographie humaine tendant à établir une moyenne, avec d'autres données comme l'âge  maximal  de survie dans l'espèce humaine qui doit avoisiner les 125 ans...

En revanche, dès que l'on parle de l'animal, la notion d'espérance de vie se fait plus floue, et à tort, on passe d'une moyenne établie sur la base d'un panel le plus vaste possible, à un âge très incertain, dont on ne sait plus à quoi il correspond exactement. N'entend-on pas affirmer l'idée que l'espérance de vie d'un chat est de 20/22 ans ?  Or, nous savons tous ici qu'en avançant un tel chiffre, nous n'avançons nullement  une donnée "moyenne" comme lorsque l'espérance de vie humaine est évoquée, mais bel et bien un hypothétique âge maximal de survie, ce qui n'a rien à voir, nous ne le savons hélas que trop, nous les amoureux des chats ! Et à bien y réfléchir, à quoi rimerait une statistique  d'espérance de vie moyenne du chat, pour tous ceux qui on perdu un animal en bas âge de la PIF, de la leucose ou du FIV, d'un sumple coryza,  d'une insuffusance reinale, d'une hypertyroïdie, d'un accident de la route, d'un empoisonnement, bref, de tous ces malheurs qui viennent diminuer cette fameuse "espérance" dont on nous rabat les oreilles aujourd'hui pour les ours polaires !

 

On comprendra je pense combien il est vain de continuer à prétendre  affubler une espèce comme l'ours polaire, dont les scientifiques sont aujourd'hui incapables de donner avec précision les chiffres exacts de population, d'une donnée  statitique qui puisse être mise en parallèle avec  une notion qui ne peux revêtir une réelle signification qu'appliquée à l'Homme. Et lorsque ces mêmes scientofiques s'avancent à recourir à une telle donnée, ils ne le font que sous forme d'une fourchette, qu'ils accompagent de données sur des âges extrêmes.  Et quand bien même ils s'aventureraient sur des terrains aussi mouvants, ils ne le font qu'en précisant les zones d'études concernées. Ainsi  les informations généralement données recouvrent-elles pour les ours polaires sauvages une fourchette  de 15/20 ans et  pour les ours en captivité un âge maximal : on le voit le débat est totalement biaisé.

En l'état actuel des connaissances, tous ces chiffres, établis sur des échantillons fragmentaires et très disparâtres, sont donc à manipuler avec une extrême prudence, et les conclusions susceptibles d'en être tirées, doivent être très précautionneuses et se révèlent très limitées, avec des marges d'erreurs considérables.

 

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Disparité des résultats en fonction des zones d'études

 

Alors qu'en est-il exactement ?  Commençons ici par les animaux vivant en liberté dans leur milieu naturel proche du cercle polaire arctique. Nous reprendrons ici les données reprises dans la synthèse établie par Georges A. Feldhamer, Bruce C. Thompson et Joseph A. Chapman pour Polar bears international, sur la base de de la littérature scientifique émanant de leurs collègues et datant pour l'essentiel des décennies 70 à 90. Nous devons avoir en tête ces années, et comprendre ainsi que les observations sont antérieures à la dramatique accélération de la destruction du milieu arctique, habitat de l'ours blanc.

 

D'emblée, il nous faudra noter les écarts stastistiques relevant des zones d'études. La situation des populations vivant dans la baie d'Hudson (estimée à environ 2400 individus) se révèle ainsi plus préoccupante du point de vue de la survie que pour les populations de la mer de Beaufort estimée  à 3000 specimens. On comprendra ensuite que des années d'observation de ces populations  ne signifient pas que les études portent sur un suivi individuel de chaque individu. Tous les facteurs susceptibles d'expliquer les écarts obtenus ne sont pas forcément maîtrisés. Toutefois, certains mécanismes le sont.  On comprend ainsi que plus la zone d'étude se caractérisera par une importante densité de phoques, aliment indispensable à la survie de l'ours polaire, plus les résultats seront optimisés. Mais comme nous allons le voir, d'une part, les choses ne sont pas si simples et d'autres part certaines données peuvent se révéler trompeuses.

 

La fécondité des femelles : une donnée trompeuse

 

On a pu ainsi noter que l'âge de fécondité varie en fonction des populations de phoques présentes dans la zone d'étude. En baie d'Hudson, où ces densités étaient encore supérieures dans les décennies 80/90 a celles observées en Mer de Beaufort, les femelles donnaient généralement naissance à leur premier nourisson à l'âge de 5 ans, alors que dans la Mer de Beaufort, il faudra le plus souvent attendre un an de plus. Comme on notera que les intervalles entre les grossesses y sont plus fréquentes, d'où un taux estimé à 0.90 naissance par an pour une femelle de la Baie d'Hudson contre 0.40 pour une femelle de la Mer de Beaufort.  A la lecture des ces chiffres, on aurait tendance à idéaliser la situation en Bais d'Hudson. Or, d'aitres données montrent qu'il n'en est rien. Le constat a ainsi été fait d'une mortalité des nourrissons bien plus élevée en Baie d'Hudson. Et du fait même de ces mortalités,  les femelles sont plus rapidement disponibles pour d'autres grossesses. On voit bien ici la nécessité de pondérer les résultats des observations ainsi que les difficultés d'interprétation et d'extrapolation susceptibles d'en être tirés.  On notera d'ailleurs au passage que la Baie d'Hudson a été une des premières zones touchée par  le processus dit de réchauffement climatique, clairement observé déjà dès les années 1990 !

Quoiqu'il en soit, les taux de fécondité des ours polaires en milieu naturel sont faibles. Et la survie de l'espèce ne peut être assuré que si ce taux très bas est en quelque sorte compensé par un fort taux de survie des nourrissons et des oursons. 

 

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Données sur la survie des oursons nés en milieu naturel 

 

L'une des premières difficultés auxquels se heurtent les statisticiens de l'absolu réside dans le suivi des populations d'oursons et tout particulièrement des nourrissons.

La capacité d'une femelle à mener à bien non seulement son cycle de reproduction, mais également le long processus de sevrage est intimement lié à son aptitude à en assumer les coûts énegétiques considérables. Si les réserves énergétiques se révèlent insiffisants, la femelle ne mettra pas sa vie en danger : elle stoppera d'elle même le cycle avant terme, elle dévorera les nourissons à la naissance avant même sa sortie d'hibernation, les abandonnera dès la sortie  ou cessera le sevrage bien avant la fin. Et quand bien même elle tenterait de mener tout cela à bien, la faiblesse des nouveaux nés en cas de réserves propres insuffisantes parachèverait  naturellement la fin du processus sans que la femelle n'ait à intervenir.

 

On l'a dit, la survie des nourrissons et des oursons de 0 à 3 ans est l'élément clé du renouvellement de l'espèce. Celui qui viendra compenser la faiblesse du taux de fécondité. On comprendra d'abord combien il serait hasardeux d'avancer des taux de survie absolus pour les premières semaines, celles où les femelles ne sont pas observables. Comment déterminer en effet, en observant une femelle sortir d'hibernation sans progéniture, si elle était susceptible d'entreprendre un cycle de reproduction à son entrée, si elle a avorté avant terme, si elle a dévoré sa progéniture, si elle a sacrifié un, voir deux nourissons pour assurer la survie d'un seul ( une femelle pouvant donner naissance à un, souvvent 2 et plus exceptionnellement 3 bébés) ? Si ces données, pourtant indispenables si l'on souhaitait déterminer avec précision une espérance de vie,  échappent à l'observation, il est en revanche possible de suivre  certains "panels" d'oursons de "printemps", comme on dit généralement, c'est-à-dire, ceux qui sortent d'hibernation avec leur mère, même si là encore, ces échantillons de population demeurent restreints et sont loin d'embrasser la totalité des naissances réelles dans une zone donnée.

 

Ainsi, en Baie d'Hudson, dans les années 1980, sur un échantillon de 200 nouveaux nés observés, 44% d'entre eux seulement étaient encore vivants à l'arrivée des grandes glaces d'automne : mortalité de 56%Et sur ces 44% de survivants, seuls 35% passeront leur second automne.

Les observations entreprises en Mer de Beaufort en revanche, fournissent des chiffres très différents. On passe à une survie de 65% jusqu'aux glaces d'automne, soit 11% de plus et de ces 65% de survivants, 86% parviendront à leur second automne.  Contraste saisissant donc entre un taux de survie sur deux ans de 15% ( 56% X 35%) pour la Baie d'Hudson, et de 56% (65%X86%) pour les populations de la Mer de Beaufort !

 

Des causes variées de mortalité chez l'ourson

 

On ne développera pas ici les éléments permettant de comprendre des résultats aussi contrastés et les scientifiques avouent leur impuissance à établir une échelle de cause de mortalité. 

On a certes déjà évoqué l'apport énergétiqe fondamental non seulement à un bon cycle reproduction-sevrage, mais on le comprend ici,  à la survie de l'ourson lui même. On comprendra donc également qu'un ourson unique a bien plus de chance  de survivre qu'un couple de jumeaux : on aurait pu penser spontanément que plus une mère donnait naissance à des jumeaux, plus l'espèce avait de chance de se évelopper.  On voit ici que c'est le contraire...

Mais on voit surtout combien il est dificile d'établir des moyennes pour l'ours polaire en général, bien des régions n'ayant pas bénéficier d'études aussi avancées, bon nombre d'individus échappant aux observations, contraignant les chercheurs à des extrapolations pouvant rapidement devenir bien hasardeuses. On avance certes quelques pistes. L'ourson est considéré comme étant sevré à 2 ans et demi. On estime que l'abandon voulu ou forcé (mort de la mère) avant cet âge condamne la plupart des oursons : l'apprentissage des codes de survie dans des milieux si hostiles est essentiel mais également long. Qui plus est, certains oursons ayant pu passer ce cap mais n'ayant malgré tout pas assimilé totalement les techniques de chasse et de survie se trouvent très vulnérables dès leur abandon.  On a pu ainsi observer un jeune ours de 3 ans, qui avait donc triomphé de tous les obstacles tant qu'il était avec sa mère, errer, famellique, ne pesant que 60 kg  à l'entrée dans son 3e hiver, quand son poids aurait dû avoisinner les 200 kg : cet ourson-là, n'avait plus aucune chance de survivre à l'hiver. Et à ces causes de mortalité liées à la robustesse du jeune animal, à l'insuffisance d'alimentation et de réserves énergétiques, il faut bien sûr rajouter les accidents, les blessures, les maladies, la chasse, et pour tous les très jeunes durant les premières semaines de leur première sortie, le cannibalisme des mâles adultes qui voient parfois en eux un potentiel rival à venir dans la recherche alimentaire, ou plus simplement, l'obstacle à son accouplement, les femelles  assurant le sevrage des oursons refusant en effet de s'accoupler, indisponibles durant deux années entières.

 

Mythe et réalité

 

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Vienna et Blizzard : zoo de Rostock, avril 2011

Photo : http://fruehlingsstern.over-blog.de

 

 

Bien d'autres points mériteraient d'être développés. Mais on comprend mieux désormais ce qu'il y a d'aléatoire et finalement d'assez vain  dans cette volonté d'établir des fourchettes d'espérances de vie qui seraient considérées comme des faits aussi absolus que nos données de démographie humaine. On en restera donc à considérer qu'un ourson ayant passé sa troisième année, vivra en moyenne entre 15 et 20 ans, tout en relevant qu'exceptionnellement, de rares cas de femelles de plus de 30 ans ont pu être dénombrées.

 

Mais ces données sont aussi là pour nous rappeler l'extrême dureté des conditions de survie des ours polaires dans leur milieu naturel. Derrière son ordinateur, au travers des images magnifiques que révèlent les diaporamas de cet univers en cours de destruction qu'est le monde arctique, ce fameux milieu naturel de l'ours polaire, nous avons tendance à nous laisser aller à bien des fantasmes. Repus et  sensibles aux mythes de la liberté des grands espaces, ayant perdu jusqu'au sens même du mot "sauvage", nous transformons trop facilement en paradis terrestres ces zones de la planète dont on veut faire semblant d'ignorer les réalités. Si cet article pouvait contribuer à faire comprendre pourquoi, même les organisations et associations les plus hostiles au maintien de l'ours polaire en captivité, considèrent comme totalement irréalistes des programmes de "réintroduction" d'ours nés en captivité dans leur soit-disant milieu naturel, le débat sur l'élevage des ours polaire et sur la survie de l'espèce serait au moins débarrassé de tout ce qui relève du mythe et non de la réalité.

 

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 Knut, zoo de Berlin, 13 mars 2011

Photo : http://fruehlingsstern.over-blog.de

 

L'ensemble des travaux scientifiques ayant permis l'établissement de cette brève synthèse est répertoriée sur le lien suivant :

 

http://www.polarbearsinternational.org/sites/default/files/pdf/PolarBearsComprehensive.pdf

 

    

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E
<br /> Dans les années 80/90, on estimait que les populations de phoques beaucoup plus importantes en Hudson, le fait que les ours n'aient pas à effectuer de longues distances de déplacement contrairement<br /> à la Mer de Beaufort était un facteur favorable. On sait par exemple qu'en Baie d'Hudson, les femelles sont très fidélèes à leurs tannières. En revanche, l'intéraction avec l'homme y est plus<br /> forte, de plus en plus d'ailleurs, les périodes de jeûne également, les périodes de débacle et de reformation de la banquise sont moin sfavotables qu'en mer de Beaufort et le phénomène s'est<br /> considérablement accéléré ces dernières années. Les conditions sont moins favorables en baie d'Hudson à la gestation réussie. Je ferais un point sur la situation de plus en plus difficile de la<br /> Baie d'Hudson d'im l'ours polaire pourrait totalement disparaître d'ici une cinquantaine d'année.<br /> <br /> <br />
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C
<br /> Bel article, Eric, très documenté !<br /> <br /> <br /> En effet il ne faut pas confondre espérance de vie et âge maximal de survie.<br /> <br /> <br /> Deuxième point, une question : comment en effet expliquer la différence pour la reproduction "meilleure" des ours polaires entre la baie d'Hudson et celle "moins bonne" des ourses polaires la mer<br /> de Beaufort ?<br /> Et à l'inverse la mortalité des oursons plus importante en baie d'Hudson ?<br /> Oui j'ai bien lu qu'on ne sait pas finalement ...<br /> <br /> <br /> Je ne crois qu'on puisse en effet réintroduire des ours polaires dans le milieu naturel de la race, alors qu'ils sont nés en captivité.<br /> Mais ce n'est pas une raison pour ne pas laisser vivre ces ours polaires qui naissent en captivité.<br /> <br /> <br />
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